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1671 Mandez-moi bien comme vous avez trouvé Grignan ; je vous souhaite quelquefois une de mes allées parmi vos grandeurs. Y trouverez-vous quelque promenade, vous qui en trouvez sur la pointe d’une aiguille[1] ? Je vous souhaite encore cette grotte où vous fûtes si bien mouillée. Vos fruits de Grignan, c’est-à-dire vos chanoines, sont de vrais fruits d’hiver, ce me semble. Eh, mon Dieu ! ne vous reverrons-nous point, dans cette jolie maison que j’ai louée[2] ? S’il ne falloit que vous aller quérir, l’affaire seroit faite : je le veux espérer pour ne pas mourir de chagrin. J’en ai quelquefois de si noirs que j’en sens de la douleur comme d’un mal ; je cours à la distraction, qui est le seul remède qu’on y puisse apporter : on en a souvent besoin, car l’on retombe souvent. Votre frère est un trésor de folie qui tient bien sa place ici. Nous avons quelquefois aussi de bonnes conversations dont il pourroit faire son profit ; mais son esprit est un peu fricassé dans la crème fouettée ; il est aimable à cela près.

Si je vous avois lu les fables de la Fontaine, je vous réponds que vous les trouveriez jolies. Je n’y trouve point ce que vous appelez forcé. Vous avez toujours votre horreur pour les conclusions. Où avez-vous appris que les conclusions de Cinna, de Rodogune, d’Œdipe, et tant d’autres encore dont je ne me souviens pas, fussent ridicules ? Voilà de quoi nous brouiller, moi qui les lis jusqu’à l’Approbation. Votre frère est comme moi. Nous

  1. 10. Allusion aux promenades qui entourent Grignan, et qui ne présentent pas de belles allées, le château étant construit sur une montagne. (Note de l’édition de 1818.)
  2. 11. Mme de Sevigné alla loger l’année suivante rue Sainte-Anastase. Elle quittait la rue de Thorigny. Voyez la lettre du 6 mai 1672, vers la fin ; la lettre au comte de Guitaut du 2 décembre 1671, et Walckenaer, tome IV, p. 68, 334.