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Monsieur de Marseille[1], et vous conjurer, par toute la confiance que vous pouvez avoir en moi, de suivre mes conseils sur votre conduite avec lui. Je connois les manières des provinces, et je sais le plaisir qu’on y prend à nourrir les divisions ; en sorte qu’à moins que d’être toujours en garde contre les discours de ces messieurs, on prend insensiblement leurs sentiments, et très-souvent c’est une injustice. Je vous assure que le temps ou d’autres raisons ont changé l’esprit de Monsieur de Marseille. Depuis quelques jours il est fort adouci ; et pourvu que vous ne vouliez pas le traiter comme un ennemi, vous trouverez qu’il ne l’est pas. Prenons-le sur ses paroles, jusqu’à ce qu’il ait fait quelque chose de contraire. Rien n’est plus capable d’ôter tous les bons sentiments, que de marquer de la défiance ; il suffit souvent d’être soupçonné comme ennemi, pour le devenir : la dépense en est toute faite, on n’a plus rien à ménager.

Au contraire, la confiance engage à bien faire : on est touché de la bonne opinion des autres, et on ne se résout pas facilement à la perdre. Au nom de Dieu, desserrez votre cœur, et vous serez peut-être surpris par un procédé que vous n’attendez pas. Je ne puis croire qu’il y ait du venin caché dans son cœur, avec toutes les démonstrations qu’il nous fait, et dont il seroit honnête d’être la dupe, plutôt que d’être capable de le soupçonner injustement. Suivez mes avis, ils ne sont pas de moi seule : plusieurs bonnes têtes vous demandent cette conduite, et vous

  1. LETTRE 117. — 1. Toussaint de Forbin Janson, évêque de Digne en 1658, de Marseille en 1668, de Beauvais en 1679, cardinal en 1690, et grand aumônier de France en 1706. Il fut ambassadeur extraordinaire en Pologne en 1673, puis de nouveau en 1680, et longtemps ambassadeur à Rome. En Pologne, il eut une grande part à l’élection de Jean Sobieski. Il mourut à quatre-vingt-trois ans, en 1713. Sur ses longs démêlés avec le comte de Grignan, voyez la Notice, p. 109, 125 et suivantes.