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mon cœur étoit saisi : tout ce qu’elle a dit là-dessus est digne de Molière. C’est une plaisante chose de voir avec quel soin elle me ménage, et comme elle détourne adroitement la conversation pour ne point parler de ma rivale devant moi : je fais aussi fort bien mon personnage.

Mes petits arbres sont d’une beauté surprenante. Pilois[1] les élève jusques aux nues avec une probité admirable. Tout de bon, rien n’est si beau que ces allées que vous avez vues naître. Vous savez que je vous donnai une manière de devise qui vous convenoit. Voici un mot que j’ai écrit sur un arbre pour mon fils qui est revenu de Candie, vago di fama[2] : n’est-il point joli pour n’être qu’un mot ? Je fis écrire hier encore, en l’honneur des paresseux, bella cosa far niente[3].

Hélas, ma fille, que mes lettres sont sauvages ! Où est le temps que je parlois de Paris comme les autres ? C’est purement de mes nouvelles que vous aurez ; et voyez ma confiance, je suis persuadée que vous aimez mieux celles-là que les autres. La compagnie que j’ai ici me plaît fort ; notre abbé est toujours plus admirable ; mon fils et la Mousse s’accommodent fort bien de moi, et moi d’eux ; nous nous cherchons toujours ; et quand les affaires me séparent d’eux, ils sont au désespoir, et me trouvent ridicule de préférer un compte de fermier aux contes de la Fontaine. Ils vous aiment tous passionnément ; je crois qu’ils vous écriront : pour moi, je prends les devants, et n’aime point à vous parler en tumulte. Ma fille, aimez-moi donc toujours : c’est ma vie, c’est mon âme que votre amitié ; je vous le disois l’autre jour, elle fait toute ma

  1. 5. Jardinier des Rochers : voyez la lettre du 28 juin 1671, p. 259.
  2. 6. Amoureux de renommée, avide de gloire.
  3. 7. Belle chose le rien faire, douce chose le loisir.