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demeura dès Palaiseaux[1] ; les autres six ont tenu bon jusques ici. Nous partons dès deux heures du matin pour éviter l’extrême chaleur ; encore aujourd’hui nous avons prévenu l’aurore dans ces bois pour voir Sylvie[2], c’est-à-dire Malicorne[3], où je me reposerai demain. J’y ai trouvé les deux petites filles[4], rechignées, un air triste, une voix de Mégère. J’ai dit : Ces petits sont sans doute à notre ami, fuyons-les. Du reste, nos repas ne sont point repas à la légère[5]. Jamais je n’ai vu une meilleure chère, ni une plus agréable maison. Il me falloit toute l’eau que j’y ai trouvée, pour me rafraîchir du fond de chaleur que j’ai depuis six jours. Notre abbé se porte bien ; mon fils et la Mousse me sont d’une grande consolation. Nous avons relu des pièces de Corneille, et re-

  1. Lettre 170. — 1. À cinq lieues de Paris, sur la route de Chartres.
  2. 2. C’est très-probablement une allusion au poème de Saint-Amant intitulé le Soleil levant, où le poëte prévient l’Aurore, l’invoque, et, la voyant poindre, la célèbre jusqu’au moment où Sylvie, l’objet de son amour, paraît à ses yeux.
  3. 3. Malicorne est un beau château à six lieues du Mans, qui appartenait alors au marquis de Lavardin. Mme de Sévigné avait fait soixante et une lieues ; il lui en restait à faire vingt-deux pour arriver aux Rochers. Il n’y eut guère dans ce voyage que neuf lieues d’une couchée à l’autre.
  4. 4. Ces petites filles du marquis de Lavardin et de sa première femme (voyez la note 5 de la lettre 158) furent : 1o Anne-Charlotte, née en 1668 et mariée en 1699 au marquis de la Châtre ; 2o N***, religieuse au couvent du Cherche-Midi (ou Chasse-Midi, comme on disait alors plus souvent).
  5. 5. Voyez la fable de la Fontaine qui a pour titre l’Aigle et le Hibou, la dix-huitième du cinquième livre :

    Notre Aigle aperçut d’aventure
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    De petits monstres fort hideux,
    Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
    « Ces enfants ne sont pas, dit l’Aigle, à notre ami :
    Croquons-les. » Le galant n’en fit pas à demi :
    Ses repas ne sont point repas à la légère.