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nom pour le mot de guerre. Je vois bien, ma fille, que vous pensez à moi très-souvent, et que cette maman mignonne de M. de Vivonne[1] n’est pas de contrebande avec vous. Mais je crois que Marseille vous a paru beau ; vous m’en faites une peinture extraordinaire qui ne déplaît pas : cette nouveauté, à quoi rien ne ressemble, touche ma curiosité ; je serai fort aise de voir cette sorte d’enfer. Comment ! des hommes gémir jour et nuit sous la pesanteur de leurs chaînes ! Voilà ce qu’on ne voit point ici : on en parle assez ; elles font même quelquefois du bruit ; mais il n’y a rien d’effectif qu’à Marseille. J’ai cette image dans la tête,

     E di mezzo l’horrore esce il diletto[2].

Vous êtes belle, à ce que vous dites, et où est donc votre grossesse ? Comment s’accommode-t-elle avec votre beauté et avec tant de fatigue ? Il revient ici de vous des louanges, des panégyriques ; vous avez un esprit si bon, si juste, si droit, qu’on vous a fait seule arbitre des plus grands différends. Vous avez accommodé les différends infinis de M. de Monaco avec un Monsieur dont j’ai oublié le nom. Vous avez un sens si net et si fort au-dessus des autres, qu’on laisse le soin de parler de votre personne, pour parler de votre esprit : voilà ce qu’on dit de vous ici. Si vous trouvez quelque prince Alamir, vous avez du fonds de reste pour faire le premier tome du roman, sans qu’on ose en parler. Je n’ai pas voulu faire ce tort à la Provence, de vous cacher la manière dont vous y êtes honorée, et dont on y parle de vous. Je voudrois savoir si vous êtes

  1. Lettre 166. — 1. Voyez la note 5 de la lettre 148.
  2. 2. Et du milieu de l’horreur sort le plaisir. — C’est un souvenir du Tasse (Jérusalem délivrée, chant XX, stance xxx) :
         Bello in si bella vista anco è l’orrore,
         E di mezzo la tema esce il diletto.
    Mme de Sévigné a remplacé la tema par le dernier mot du vers précédent.