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que j’avale toute l’amertume d’être loin de vous plutôt que de ne pas faire un voyage qui vous soit utile. Je cède à toutes ces raisons, et je crois ne pouvoir m’égarer avec un si bon guide.

Parlons de votre santé ; est-il possible que le carrosse ne vous fasse point de mal ? N’y allez point longtemps de suite ; reposez-vous souvent. Je vis hier Mme de Guise ; elle me chargea de vous faire mille amitiés, et de vous dire comme elle a été trois jours à l’extrémité, Mme Robinet n’y voyant plus goutte, et tout cela pour s’être agitée sur la foi de sa première couche, sans se donner aucun repos. L’agitation continuelle, qui ne donne pas le temps à un enfant de se pouvoir remettre à sa place, quand il a été ébranlé, fait une couche avancée, qui est très-souvent mortelle. Je lui promis de vous donner toutes ces instructions pour quand vous en auriez besoin, et de vous dire tous les repentirs qu’elle avoit d’avoir perdu l’âme et le corps de son enfant. Je m’acquitte exactement de cette commission, dans l’espérance qu’elle vous sera utile. Je vous conjure, mon enfant, d’avoir un soin extrême de votre santé : vous n’avez que cela à faire.

Votre Monsieur, qui dépeint mon esprit juste et carré[1], composé, étudié, l’a très-bien dévidé, comme disoit cette diablesse. J’ai fort ri de ce que vous m’en écrivez, et vous ai plainte de n’avoir personne à regarder pendant qu’il me louoit si bien ; je voudrois au moins avoir été derrière la tapisserie. Je vous remercie, ma bonne, de toutes les honnêtetés que vous avez faites à la Brosse : c’est une belle chose qu’une vieille lettre[2] ; il y a longtemps que je les trouve encore pires que les vieilles gens : tout ce

  1. 2. On lit dans l’édition de la Haye : « Mon esprit vite et carré. »
  2. 3. La lettre du 10 mars précédent ne fut rendue que six semaines après la date. (Note de Perrin.)