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nière chose, puisqu’elle l’a établie pour jamais, regrettons un temps où je vous voyois tous les jours, vous, ma bonne, qui êtes le charme de ma vie et de mes yeux ; où je vous entendois, vous dont l’esprit touche mon goût plus que tout ce qui m’a jamais plu. N’allons point faire une séparation de votre aimable vue et de votre amitié : il y auroit trop de cruauté à séparer ces deux choses, et quoi que M. de Grignan dise[1], c’est une folie ; je veux plutôt croire que le temps est venu que ces deux choses marcheront ensemble, que j’aurai le plaisir de vous voir sans mélange d’aucun nuage, et que je réparerai toutes les injustices passées, puisque vous voulez les nommer ainsi. Après tout, combien de bons moments que je ne puis assez regretter, et que je regrette aussi avec des larmes et des tendresses qui ne peuvent jamais finir ! Ce discours même n’est pas bon pour mes yeux, qui sont d’une foiblesse étrange ; et je me sens dans une disposition qui m’oblige à finir cet endroit. Il faut pourtant que je vous dise encore que je regarde le temps où je vous verrai comme le seul que je desire à présent, et qui peut m’être agréable dans la vie. Dans cette pensée vous devez croire que pour mon intérêt et pour diminuer toutes mes inquiétudes, qui vont être augmentées jusqu’à devenir insupportables, je ne trouverois aucun trajet qui ne fût court ; mais j’ai de grandes conversations avec d’Hacqueville ; nous voyons ensemble d’autres intérêts, et les miens le cèdent à ceux-là. Il est témoin de tous mes sentiments ; il voit mon cœur sur votre sujet : c’est lui qui se charge de vous les faire entendre, et de vous mander ce que nous résolvons. Dans cette vue, c’est lui qui veut

  1. Lettre 164 (revue sur une ancienne copie). — 1. L’édition de la Haye (1726) s’est risquée à compléter ainsi la pensée : « Quoique M. de Grignan dise que les absents ont toujours tort auprès de vous. » Perrin a retranché les mots : « Quoi que M. de Grignan dise, c’est une folie. »