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je me sais taire, Dieu merci ! Si cette fin vous paroît un peu galimatias, vous ne l’en aimerez que mieux. Adieu, ma très-chère aimable et très-chère mignonne, je vous aime au delà de ce qu’on peut imaginer. Tantôt je vous manderai des nouvelles en fermant mon paquet.

À Paris, ce vendredi au soir, 24e avril (chez M. de la Rochefoucauld).

Je fais donc ici mon paquet. J’avois dessein de vous conter que le Roi arriva hier au soir à Chantilly. Il courut un cerf au clair de la lune ; les lanternes firent des merveilles ; le feu d’artifice fut un peu effacé par la clarté de notre amie ; mais enfin le soir, le souper, le jeu, tout alla à merveille. Le temps qu’il a fait aujourd’hui nous faisoit espérer une suite digne d’un si agréable commencement. Mais voici ce que j’apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande : c’est qu’enfin Vatel, le grand Vatel, maître d’hôtel de M. Foucquet, qui l’étoit présentement de Monsieur le Prince[1], cet homme d’une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête étoit capable de soutenir tout le soin d’un État ; cet homme donc que je connoissois, voyant à huit heures, ce matin, que la marée n’étoit point arrivée, n’a pu souffrir l’affront qu’il a vu qui l’alloit accabler, et en un mot, il s’est poignardé. Vous pouvez penser l’horrible désordre qu’un si terrible accident a causé dans cette fête. Songez que la marée est peut-être ensuite arrivée comme il expiroit. Je n’en sais

  1. 6. Gourville, dans ses Mémoires (tome LII, p. 486), dit que Vatel était « contrôleur chez Monsieur le Prince. » Dans les Œuvres de M. Foucquet, où son nom est toujours écrit Watel, il est dit qu’il a été employé par M. Colbert quand le Roi reçut le duc de Mantoue, la reine Christine de Suède, etc.