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rées de toutes sortes de choses, en telle abondance, qu’il en avoit l’imagination frappée et l’a encore, et ne pouvoit pas regarder une femme : il étoit comme les chevaux rebutés d’avoine. Ce mal n’a pas été d’un moment. J’ai pris mon temps pour faire un petit sermon là-dessus : nous avons fait ensemble des réflexions chrétiennes ; il entre dans mes sentiments[1], et particulièrement pendant que son dégoût dure encore. Il me montra des lettres qu’il a retirées de cette comédienne ; je n’en ai jamais vu de si chaudes ni de si passionnées : il pleuroit, il mouroit. Il croit tout cela quand il écrit, il s’en moque un moment après : je vous dis qu’il vaut son pesant d’or.

Adieu, mon aimable enfant. Comment vous êtes-vous portée le 6e de ce mois ? Je souhaite, ma petite, que vous m’aimiez toujours : c’est ma vie, c’est l’air que je respire. Je ne vous dis point si je suis à vous : cela est au-dessous du mérite de mon amitié. Voulez-vous bien que j’embrasse ce pauvre Comte ? Mais ne vous aimons-nous point trop tous deux ?

Vendredi au soir, 17e avril.

Je fais mon paquet chez Mme de la Fayette, à qui j’ai donné votre lettre. Nous l’avons lue ensemble avec plaisir ; nous trouvons que personne n’écrit mieux que vous. Vous la flattez très-agréablement, et moi en passant j’y trouve un petit endroit qui me va droit au cœur : c’est un lieu que vous possédez d’une étrange manière. Mme de la Fayette fut hier à Versailles ; Mme de Thianges lui avoit mandé d’y aller. Elle y fut reçue très-bien, mais très-bien, c’est-à-dire que le Roi la fit mettre dans sa calèche avec les dames, et prit plaisir à lui montrer toutes les

  1. 8. Charles de Sévigné vécut dans une grande piété après son mariage. Voyez la Notice, p. 260 et suivante.