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1671 Vous me dites que j’ai été injuste sur le sujet de votre amitié. Je l’ai été encore bien plus que vous ne pensez ; je n’ose vous dire jusqu’à quel point a été ma folie. J’ai cru que vous aviez de l’aversion pour moi, et je l’ai cru parce que je me trouvois pour des gens que je haïssois, comme il me sembloit que vous étiez pour moi ; et songez que je croyois cette épouvantable chose au milieu du desir extrême de découvrir le contraire, et comme malgré moi. Dans ces moments, il faut que je vous dise toute ma foiblesse : si quelqu’un m’eût tourné un poignard dans le cœur, il ne m’auroit pas plus mortellement blessée que je l’étois de cette pensée. J’ai des témoins de l’état où elle m’a mise. Je vous dis ceci sans vouloir de réponse que celle que vous me faites tous les jours en me persuadant que je me suis trompée. Ce discours est donc ce qui s’appelle des paroles vaines, qui n’ont autre but que de vous faire voir que l’état où je suis sur votre sujet seroit parfaitement heureux si Dieu ne permettoit point qu’il fût traversé par le déplaisir de ne vous avoir plus, et pour vous persuader aussi que tout ce qui me vient de vous ou par vous, me va droit et uniquement au cœur.

Le chocolat[1] n’est plus avec moi comme il étoit : la mode m’a entraînée, comme elle fait toujours. Tous ceux qui m’en disoient du bien m’en disent du mal ; on le maudit, on l’accuse de tous les maux qu’on a ; il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort ; enfin, mon enfant, le grand maître, qui en vivoit, est son ennemi déclaré : vous pouvez penser si je puis être d’un

  1. 2. Des lettres patentes du 28 novembre 1659 permettent de vendre pendant vingt-neuf ans une certaine composition nommée chocolat. Voyez dom Félibien, Histoire de Paris, in-folio, tome V, p. 204.