Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 129 —

1671

vre bonne, ce que je ferai beaucoup mieux que tout cela, c’est de penser à vous. Je n’ai pas encore cessé depuis que je suis arrivée, et ne pouvant contenir tous mes sentiments sur votre sujet, je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siége de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le cœur ? Il n’y a point d’endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l’église, ni dans ce pays, ni dans ce jardin, où je ne vous aie vue, il n’y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose ; et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le cœur. Je vous vois, vous m’êtes présente ; je pense et repense à tout ; ma tête et mon esprit se creusent : mais j’ai beau tourner, j’ai beau chercher ; cette chère enfant que j’aime avec tant de passion est à deux cents lieues, je ne l’ai plus. Sur cela je pleure sans pouvoir m’en empêcher ; je n’en puis plus, ma chère bonne : voilà qui est bien foible, mais pour moi, je ne sais point être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre. Le hasard peut faire qu’elle viendra mal à propos, et qu’elle ne sera peut-être pas lue de la manière qu’elle est écrite. À cela je ne sais point de remède ; elle sert toujours à me soulager présentement ; c’est tout ce que je lui demande. L’état où ce lieu-ci m’a mise est une chose incroyable. Je vous prie de ne me point parler de mes foiblesses ; mais vous devez les aimer et respecter mes larmes, qui viennent d’un cœur tout à vous.

Jeudi saint 26e mars.

Si j’avois autant pleuré mes péchés que j’ai pleuré pour vous depuis que je suis ici, je serois fort bien disposée