Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 7 —

1670

quoique vous ne vous puissiez sauver par là si vous donniez lieu de parler, ce n’est pas sur cela qu’on a parlé de vous ; mais je suis bien ridicule de vouloir vous apprendre ce qu’assurément vous savez avant moi : on ne manque pas de gens, au pays où vous êtes, qui avertissent leurs amis des calomnies aussi bien que des vérités qu’on dit d’eux. Je ne vous en dirai donc pas davantage, sinon qu’à quelques petits reproches près, dont vous m’avez un peu trop souvent fatigué, je vous trouve vous-même une dame sans reproche, et j’ai la meilleure opinion du monde de vous.

Cependant je vous assure que la mort de Madame m’a surpris[1] et affligé au dernier point. Vous savez combien agréablement j’étois autrefois avec elle. Toutes mes persécutions m’avoient encore attiré de sa part mille amitiés extraordinaires, que je vous conterai un jour. Si quelque chose est capable de détacher du monde les gens qui y sont les plus attachés, ce sont les réflexions que fait faire cette mort. Pour moi, elle me console fort de l’état de ma fortune, quand je vois que ceux qui font enrager les autres, et qui par leur grandeur sont à couvert des représailles, ne le sont pas des coups du ciel. Vivons seulement, ma belle cousine, et nous en verrons bien d’autres.

Je suis tout revenu pour Mme de Grignan, et ce que m’en dira Corbinelli ne peut augmenter la tendresse que j’ai pour elle, à moins qu’il ne m’assurât qu’elle est brouillée avec son mari ; car en ce cas-là je l’aimerois plus que ma vie.

Adieu, ma belle cousine, ne nous tracassons plus. Quoique vous m’assuriez que nos liens s’allongent, de notre race, et qu’ils ne se rompent point, ne vous y fiez

  1. 2. Ici encore les anciennes éditions ont effacé le mot surpris.