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de m. de barillon.[1]

J’interromps la plus aimable mère du monde pour vous dire trois mots, qui ne seront guère bien arrangés, mais qui seront vrais. Sachez donc, Madame, que je vous ai toujours plus aimée que je ne vous l’ai dit, et que si jamais je gouverne, la Provence n’aura plus de gouvernante. En attendant, gouvernez-vous bien, et régnez doucement sur les peuples que Dieu a soumis à vos lois. Adieu, Madame, je quitte Paris sans regret.

de madame de sévigné.

C’est ce pauvre Barillon qui m’a interrompue, et qui ne me trouve guère avancée de ne pouvoir pas encore recevoir de vos lettres sans pleurer. Je ne le puis, ma fille, mais ne souhaitez point que je le puisse ; aimez mes tendresses, aimez mes foiblesses ; pour moi je m’en accommode fort bien. Je les aime bien mieux que des sentiments de Sénèque et d’Épictète. Je suis douce, tendre, ma chère enfant, jusques à la folie : vous m’êtes toutes choses ; je ne connois que vous. Hélas ! je suis bien précisément comme vous pensez, c’est-à-dire d’aimer ceux qui vous aiment et qui se souviennent de vous ; je le sens tous les jours. Quand je trouvai Merlusine, le cœur me battit de colère et d’émotion. Elle s’approcha comme

  1. 23. Paul de Barillon d’Amoncourt, marquis de Branges, conseiller au parlement en 1650, maître des requêtes en 1651, plus tard, et pendant longtemps, ambassadeur en Angleterre. Il mourut conseiller d’État ordinaire, en juillet 1691. Il était frère de l’évêque de Luçon et de Barillon de Morangis, aussi conseiller d’État. C’est à lui que la Fontaine a dédié le Pouvoir des Fables. C’était son père, le président de Barillon, mort prisonnier à Pignerol, en 1645, qui avait arrêté avec André d’Ormesson les articles du contrat de mariage de Mme de Sévigné : voyez Walckenaer, tome V, p. 271.