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la lui donne. Je comprends pourtant qu’il peut fort bien être accablé ainsi que vous ; ma colère ne tient à guère, et ma tendresse pour vous deux tient à beaucoup. Tout ce que vous me mandez est très-plaisant ; c’est dommage que vous n’ayez eu le temps d’en dire davantage. Mon Dieu, que j’ai d’envie de recevoir de vos lettres ! Il y a déjà près d’une demi-heure que je n’en ai reçu. Je ne sais aucune nouvelle. Le Roi se porte fort bien ; il va de Versailles à Saint-Germain, de Saint-Germain à Versailles. Tout est comme il étoit. La Reine fait souvent ses dévotions, et va au salut du saint sacrement[1]. Le P. Bourdaloue prêche : bon Dieu ! tout est au-dessous des louanges qu’il mérite. L’autre jour notre abbé y[2] eut un démêlé avec Monsieur de Noyon[3], qui lui dit qu’il devoit bien quitter sa place à un homme de la maison de Clermont. On a fort ri de ce titre, pour avoir la place d’un abbé à l’église. On a bien reconté là-dessus toutes les clefs[4] de la maison de Tonnerre, et toute la science sur la pairie.

  1. 10. La Gazette, en ce temps-là, mentionne presque tous les jours quelque pieuse visite de la Reine aux églises et aux couvents.
  2. 11. Les éditeurs, à qui cet emploi de l’adverbe, très-hardi, je l’avoue, a paru obscur, y ont substitué les mots avant le sermon.
  3. 12. François de Clermont Tonnerre (second fils du comte de Clermont Tonnerre et de Marie Vignier), évêque et comte de Noyon (1661), pair de France, mort à soixante-douze ans en 1701. Il fut reçu à l’Académie française en 1694, et y fonda un prix de poésie. (Voyez de curieux détails sur son élection et sa réception, dans l'Histoire de l’Académie de M. P. Mesnard, p. 42 à 44.) Ce prélat réunissait dans sa personne tous les genres de vanité, et comme par là il prêtait beaucoup à la raillerie, on s’est plu à lui attribuer toutes les anecdotes qui pouvaient rendre ce ridicule plus achevé.
  4. 13. Les armes de la maison de Clermont sont : de gueules à deux clefs d’argent adossées et passées en sautoir. Elle les tient de la reconnaissance du pape Calixte II. Saint-Simon, tome I, p. 107, raconte que l’évêque de Noyon avait rempli de ses armes toute sa maison, jusqu’aux plafonds et aux planchers. « Des clefs partout, ajoute-t-il, jusque sur le tabernacle de sa chapelle ». — Dans l’édition de 1754,