Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 100 —

1671

faitement bien et les gens et le lieu, et ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire. Je dis un peu de bien de moi en passant ; j’en demande pardon au Bourdaloue et au Mascaron. J’entends tous les matins ou l’un ou l’autre ; un demi-quart des merveilles qu’ils disent devroit faire une sainte. Présentement que vous n’êtes plus ici pour me faire conserver mon pauvre corps, je ne lui donne ni paix ni trêve, non plus qu’à mon esprit.

Je vous avoue, de bonne foi, ma petite, que je ne puis du tout m’accoutumer à vous savoir à deux cents lieues de moi. Je suis plus touchée que je ne l’étois lorsque vous étiez en chemin ; je repleure sur nouveaux frais ; je ne vois goutte dans votre cœur ; je me représente cent choses désagréables que je ne vous puis dire ; je ne vois pas même ce que pense M. de Grignan ; et tout est brouillé, je ne sais comment, dans ma tête. Je vous vois accablée d’honneurs, et d’honneurs qui tiennent fort au nom que vous portez ; rien n’est plus grand ni plus considéré ; nulle famille ne peut être plus aimable : vous y êtes adorée, à ce que je crois, car le Coadjuteur ne m’écrit plus ; mais j’ignore comment vous vous portez dans tout ce tracas ; c’est une sorte de vie étrange que celle des provinces : on fait des affaires de tout. Je m’imagine que vous faites des merveilles, et je voudrois bien savoir ce que ces merveilles vous coûtent, soit pour vous plaindre, soit pour ne vous plaindre pas.

Je reçois votre lettre, ma chère enfant, et j’y fais réponse avec précipitation parce qu’il est tard : cela me fait approuver les avances de provision. Je vois bien que tout ce qu’on m’a dit de vos aventures à votre arrivée n’est pas vrai ; j’en suis très-aise. Ces sortes de petits procès dans un lieu où l’on n’a rien autre chose dans la tête, font une éternité d’éclaircissements qui font mourir d’ennui. Je