Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 4 —

1670

110. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 6e juillet 1670.

Je me presse de vous écrire, afin d’effacer promptement de votre esprit le chagrin que ma dernière lettre y a mis[1]. Je ne l’eus pas plus tôt écrite que je m’en repentis. M.  de Corbinelli me voulut empêcher de vous l’envoyer ; mais je ne voulus pas perdre ma lettre, toute méchante qu’elle étoit, et je crus que je ne vous perdrois pas pour cela, puisque vous ne m’aviez pas perdue pour quelque chose de plus. Nous ne nous perdons point, de notre race : nos liens s’allongent quelquefois, mais ils ne se rompent jamais. Je sais ce qu’en vaut l’aune : après mon expérience, je pouvois bien hasarder le paquet. Il est vrai que j’étois de méchante humeur d’avoir retrouvé dans mes paperasses ces lettres que je vous dis. Je n’eus pas la docilité de démonter mon esprit pour vous écrire. Je trempai ma plume dans mon fiel, et cela composa une sotte lettre amère, dont je vous fais mille excuses. Je le dis à notre homme[2]. Si vous fussiez entré une heure après dans ma chambre, nous nous fussions moqués de moi ensemble. Nous voilà donc raccommodés. Vous seriez bien heureux si nous étions quittes ; mais, bon Dieu ! que je vous en dois encore de reste, que je ne vous payerai jamais !

Vous me donnez un trait en me disant que j’ai des ennemis et qu’on vous a mandé que ma conduite étoit dégingandée. Vous feignez qu’on vous l’a écrit ; je parie que cela n’est pas vrai. Hélas ! mon cousin, je n’ai point d’ennemis, ma vie est tout unie, ma conduite n’est point dégingandée (puisque dégingandée y a). Il n’est point

  1. LETTRE 110. — I. Voyez à la fin du tome I, les lettres 107 et 108.
  2. 2. À Corbinelli.