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Il faut que je vous conte ce que j’ai fait. Imaginez-vous que des dames m’ont proposé d’aller dans une maison qui regarde droit dans l’Arsenal, pour voir revenir notre pauvre ami. J’étois masquée[1], je l’ai vu venir d’assez loin. M. d’Artagnan étoit auprès de lui ; cinquante mousquetaires derrière, à trente ou quarante pas. Il paroissoit assez rêveur. Pour moi, quand je l’ai aperçu, les jambes m’ont tremblé, et le cœur m’a battu si fort, que je n’en pouvois plus. En s’approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d’Artagnan l’a poussé, et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées, et a pris cette mine riante que vous connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue ; mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie, quand je l’ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi ; mais je pense que vous n’en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois.

J’ai été voir votre chère voisine[2] ; je vous plains autant de ne l’avoir plus, que nous nous trouvons heureux de

    lettres. Mme de Sévigné était sans doute convenue avec Pompone de désigner d’Ormesson par cette fausse initiale, que nous trouvons dans la copie Amelot : les anciennes éditions ont D, au lieu de T. La prudence était ici d’autant plus nécessaire que ces récits n’étaient vraisemblablement que la transmission des entretiens de ce magistrat. Voyez la Notice, p. 72. — Dans la suite de ces comptes rendus du procès, même en des endroits compromettants, le nom de M. d’Ormesson est parfois écrit en entier dans nos deux copies, ou du moins indiqué par ses vraies initiales. Cela peut venir ou de l’habitude assez constante qu’ont ces copies de traduire les pseudonymes, ou bien encore de ce que Mme de Sévigné, en laissant courir sa plume, oubliait ces sages précautions.

  1. Les femmes portaient souvent des masques de velours noir que l’on appeloit loups. C’était un usage venu d’Italie.
  2. Mme du Plessis Guénégaud venoit de retourner à Paris.