Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


voudrois pas que ce fussent les miens ; je leur ferois ronger entre eux leurs propres os[1]. » Et poussant un cri de détresse, elle prophétisait à ses malheureux enfants une ruine prochaine de leur fortune et de leur nom. Dans son langage éloquent et pittoresque, elle comparaît cette fureur de se ruiner déchaînée sur leur maison au terrible veut de la Provence : « Vous trouverez encore à Grignan la bise en furie ; elle renverse vos balustres, elle en veut à votre château. Sera-t-elle plus forte que cette autre tempête qui le bat depuis si longtemps ? Il faut qu’il soit bon pour y avoir résisté[2]. »

Un emploi à la cour paraissait donc à madame de Sévigné non-seulement la fin de ces cruelles séparations, dont les douleurs se renouvelaient sans cesse, mais la planche de salut dans le naufrage. Au mois de février 1680, ses espérances furent très-encouragées par les faveurs qui tombèrent à Saint—Germain sur deux des membres de la famille de Grignan. Le bel abbé de Grignan eut l’évêché d’Évreux, qui valait vingt mille livres de rentes. Le roi mit sur ce bénéfice une pension de mille écus pour le chevalier de Grignan. Quelques jours après, il choisit ce même chevalier pour être un des menins du Dauphin, avec une pension de deux mille écus. Il s’était exprimé dans les termes les plus honorables sur son mérite. Il paraît qu’en effet le chevalier en avait, indépendamment de ses bons services à la guerre. Saint-Simon l’appelle « un homme fort sage, de beaucoup d’amis, très-considéré, avec beaucoup d’esprit et du savoir[3]. »

Cette semaine où la cour avait fait pleuvoir ses grâces sur les Grignan paraissait donc d’un heureux augure à madame de Sévigné. « Si la Providence vouloit, disait-elle, favoriser l’aîné à proportion, nous le verrions dans une belle place[4]. » Ce vœu prenait, dans la lettre suivante, la forme d’une espérance : « Tout ce qui est arrivé aux Grignan en quatre jours vous rapproche de ce pays. Il est impossible qu’ayant si bien fait pour les cadets, on ne fasse pour l’aîné[5]. » L’ambition de M. et de madame de Grignan était, pour cet objet du moins

  1. Lettre du 5 janvier 1680.
  2. Lettre du 26 mars 1680.
  3. Mémoires, tome IV, p. 424.
  4. Lettre du 23 février 1680.
  5. Lettre du 28 février 1680.