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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


de Sévigné disait que son livre était « le plus divin de tous les livres[1]. »

Ce premier coup d’œil jeté sur les ouvrages de dévotion qui sont à l’usage de madame de Sévigné, nous fait entrevoir déjà quels sont ses sentiments religieux ; car il ne s’agit plus seulement ici d’un goût littéraire. À Dieu ne plaise cependant que nous voulions faire d’elle une théologienne ! Le jésuite qui lui a donné place dans un Dictionnaire des livres jansénistes avait certainement tort. Elle n’avait point cet entêtement d’opinions, qui fait entrer dans une secte. Elle ne cherchait pas à dogmatiser. Elle s’était fait une dévotion à sa guise, un peu tiède quelquefois, mais toujours sincère, très-orthodoxe d’intention, appuyée d’ailleurs sur des principes dont quelques-uns ne semblent pas toujours bien arrêtés, mais qui, dans leur indépendance, inclinaient cependant beaucoup vers Port-Royal. C’était, à bien peu d’exceptions près, surtout si l’on met l’Église à part, la pente des esprits supérieurs de ce siècle ; madame de Sévigné s’y rencontre avec Pascal, Boileau, Racine et Saint-Simon. L’attrait que cette grande école avait alors pour les plus belles intelligences suffirait à expliquer comment elle fut si admirée de madame de Sévigné. En cherchant trop l’origine de cette admiration et de cette sympathie dans ses amitiés particulières ou dans des opinions de famille, ne s’exposerait-on pas à lui retirer, plus qu’il ne faudrait, le mérite d’un jugement libre et de sentiments personnels ? Il paraît bien toutefois qu’elle trouva du moins autour d’elle l’occasion d’adopter ces sentiments. Elle avait dû entendre parler avec respect, dès son enfance, de Saint-Cyran et des Arnauld. On sait quels liens étroits d’amitié sainte s’étaient formés, sous les auspices de saint François de Sales, entre la mère de Chantal d’une part, et de l’autre la mère Angélique, la mère Agnès de Saint-Paul, Antoine Arnauld et son fils Arnauld d’Andilly[2]. Dans la correspondance de sainte Chantal, on peut voir les lettres, pleines de respectueuse affection, qu’elle écrivait

  1. Lettre du 13 août 1688.
  2. Voir les Œuvres de Racine (édition d’Aimé-Martin), l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal, tome IV, p. 197 et 198, et Port-Royal de M. Sainte-Beuve (deuxième édition), tome I, p. 216 et suiv.