Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/359

Cette page n’a pas encore été corrigée

colère a tort, plus elle s’opiniâtre, plus elle s’exalte et enchérit sur ses premiers excès, comme si la violence était preuve de justice. Ah ! qu’il est bien plus noble à l’homme de considérer combien sont frivoles et insignifiants les motifs qui le transportent ! Ce roi des animaux laisse voir la même faiblesse que ses stupides sujets : un fantôme, un rien le bouleverse.

XXX. La couleur rouge irrite le taureau, une ombre met l’aspic en fureur ; la vue d’un linge blanc qu’on agite éveille la rage des lions et des ours. Tous les animaux, naturellement farouches et irritables, s’épouvantent pour la moindre chose. Voilà l’image de ce qui arrive aux esprits mobiles et peu éclairés : ils se frappent de ce qui n’est qu’imaginaire. Certains même vont jusqu’à taxer d’injures de modiques bienfaits, qui deviennent pour eux le levain des plus fréquentes ou du moins des plus âpres inimitiés. Oui, l’on en veut aux êtres qu’on chérit le plus pour avoir reçu d’eux moins qu’on n’espérait, moins que d’autres n’en ont reçu ; double motif d’aigreur que dissiperait une réflexion bien simple : Ton voisin est mieux partagé que toi ? Qu’as-tu besoin de comparaison pour jouir ? Il ne sera jamais heureux celui que tourmente la vue d’un plus heureux que lui. Tu attendais mieux ? et peut-être plus que tu ne devais attendre. L’amour-propre est ici fort à craindre ; c’est une source de haines mortelles et capables des plus sacrilèges attentats. Qui furent les meurtriers de César ? Bien moins ses vrais ennemis que des amis dont il n’avait point satisfait les prétentions insatiables. Il eût voulu le faire sans doute, car jamais homme n’usa plus généreusement de la victoire, dont il ne s’attribua rien que le droit d’en dispenser les fruits. Mais