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les oreilles, et le nourrit longtemps dans une cage, comme quelque animal rare et extraordinaire. Ce n’était plus qu’une sorte de tronc vivant, qu’une plaie difforme, et n’ayant plus rien de la face humaine. Puis les tourments de la faim, et l’affreuse saleté de ce corps, réduit à pourrir dans sa propre fange, accroupi sur ses genoux et sur ses mains calleuses, qui lui servaient forcément de pieds dans son étroite prison ; puis encore ses flancs ulcérés par le frottement des barreaux : tout en lui formait un spectacle aussi révoltant qu’effroyable. Son supplice en avait fait un monstre qui repoussait même la pitié. Mais si ce malheureux avait perdu la figure de l’homme, son persécuteur en avait moins encore gardé le caractère.

XVIII. Plût aux dieux que les nations étrangères offrissent seules de tels exemples, et que leur cruauté n’eût point passé dans nos mœurs avec tant d’autres vices d’emprunt, avec la barbarie des supplices et des vengeances ! Ce M. Marius, à qui le peuple avait élevé des statues dans tous les carrefours, et en l’honneur duquel il adressait des supplications aux dieux, avec du vin et de l’encens, eut les cuisses rompues, les yeux arrachés, les mains coupées par ordre de Sylla ; et, comme s’il eût pu subir autant de morts que de tortures, on déchira lentement et en détail chaque partie de son corps. Et quel fut l’exécuteur de ces ordres sanguinaires ? qui pouvait-il être, sinon Catilina, dont les mains s’exerçaient dès lors à toute espèce d’attentats ? On le vit déchiqueter Marius sur le tombeau du plus doux des mortels, sur la cendre indignée de Q. Catulus. Là, un homme de funeste exemple, et toutefois si populaire, un préteur, assez justement, mais si excessivement aimé, voyait son sang s’échapper goutte à goutte de chaque