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son visage. Quel est donc ici le trait distinctif ? Si les autres passions se montrent, la colère éclate.

II. Veut-on maintenant considérer ses effets destructeurs ? jamais fléau ne coûta plus à l’humanité : meurtres, empoisonnements, turpitudes réciproques des deux parties adverses, villes saccagées, nations entières anéanties, leurs chefs vendus à l’encan, la torche incendiaire portée dans les maisons, puis hors des murs des cités, et propageant au loin avec ses tristes lueurs des vengeances impitoyables ; voilà ses œuvres. Cherchez ces cités jadis si fameuses, et dont à peine on reconnaît la place : qui les a renversées ? la colère. Voyez ces solitudes désolées, et, sur des espaces immenses, vides de toute habitation : c’est la colère qui les a faites. Contemplez tous ces grands personnages, transmis à notre souvenir « comme exemples d’un fatal destin » : la colère frappe l’un dans son lit, la colère égorge l’autre sur le siège inviolable du banquet ; elle immole un magistrat en plein forum et devant les tables de la loi, force un père à livrer son sang au poignard d’un fils parricide, un roi à présenter la gorge au fer d’un esclave, un autre à mourir les membres étendus sur une croix. Et encore ne raconté-je là que des catastrophes individuelles ? Que sera-ce si, de ces victimes isolées, vos yeux se reportent sur des assemblées entières massacrées, sur toute une population abandonnée au glaive du soldat, sur des nations proscrites en masse et vouées à la mort.... comme ayant renoncé à la tutelle de Rome ou bravé son autorité ? Qu’on m’explique aussi l’injustice de ce peuple romain qui s’irrite contre des gladiateurs, qui se croit insulté, méprisé