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Dérigny

Du tout, mon général ; vous avez dit on ne peut mieux, et c’est moi qui suis un sot d’avoir ri.

Le général

Non, monsieur, vous n’êtes pas un sot, et vous savez très bien que vous ne l’êtes pas ; ce que vous en dites, c’est pour me calmer comme on calme un fou furieux ou un enfant gâté. Je ne suis pas un fou, monsieur, ni un enfant, monsieur ; j’ai soixante-trois ans, et je n’aime pas qu’on me flatte. Et je ne veux pas qu’un homme comme vous se donne tort pour excuser un sot comme moi. Oui, monsieur, vous n’avez pas besoin de faire une figure de l’autre monde et de sauter comme un homme piqué de la tarentule. Je suis un sot ; c’est moi qui vous le dis ; et je vous défends de me contredire ; et je vous ordonne de me croire. Et vous êtes un homme de sens, d’esprit, de cœur et de dévouement. Et je veux encore que vous me croyiez, et que vous ne me preniez pas pour un imbécile qui ne sait pas juger les hommes, ni se juger lui-même.

— Mon général, dit Dérigny d’une voix émue, si je ne vous dis pas tout ce que j’ai dans le cœur de reconnaissance et de respectueuse affection, c’est parce que je sais combien vous détestez les remerciements et les expansions…

Le général

Oui, oui, mon ami ; je sais, je sais. Dites qu’on me serve ici mon déjeuner et allez vous-même manger un morceau. »