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je voulus jeter un coup d’œil sur mon passeport, je ne le trouvai pas ; j’eus beau chercher, fouiller de tous côtés, je ne pus le retrouver ; il ne me restait qu’une passe de forçat pour circuler dans les environs d’Ékatérininski-Zavod ; je l’avais sans doute perdu dans un traîneau ou dans la ville, à la couchée. Un tremblement nerveux me saisit. Sans passeport je ne pouvais m’arrêter dans aucune ville, aucun village ; je me trouvais condamné à passer mes nuits dans les forêts ou dans les plaines immenses nommées steppes ; cet hiver de 1856 était un des plus rigoureux qu’on eût vus depuis plusieurs années ; la neige tombait en abondance ; je me trouvais sans cesse couvert d’une couche de neige, que je secouais. Elle tombait si serrée, qu’elle effaçait les traces des routes praticables ; heureusement que les voyageurs sibériens ont l’habitude de planter dans la neige de longues perches de sapin pour guider leurs compatriotes ; mais souvent ces perches, abattues par les ouragans, manquent aux voyageurs. Je marchai pourtant sans perdre courage ; parfois je rencontrais des yamstchiks qui venaient à ma rencontre ; je suivais la trace qu’avait laissée leur traîneau, et je marchais ainsi jusqu’à la nuit ; alors je creusais dans la neige un trou profond en forme de grotte ; je m’y établissais pour dormir, en fermant de mon mieux, avec de la neige, l’entrée de ma grotte. La première nuit que je passai ainsi, je m’éveillai les pieds presque gelés, parce que j’avais mis sur moi