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ravant l’infortuné Wysocki, forçat comme moi, fuyant comme moi, et qui, après avoir été égaré toute une nuit comme moi dans la forêt où j’étais, fut livré aux gendarmes par son conducteur. Quand le jour parut, je menaçai encore mon paysan de le livrer à la police pour m’avoir fait perdre mon temps. Le malheureux fit son possible pour retrouver quelques traces du chemin qu’il avait bien réellement perdu, et, au bout de quelques instants, il s’écria tout joyeux :

« — Voici des traces que je reconnais ; c’est le chemin que nous devions suivre.

« — Va donc, lui dis-je, et à la grâce de Dieu ! »

« Le paysan fouetta ses chevaux et arriva bientôt chez un ami qui me donna du thé et d’autres chevaux pour continuer ma route. Je changeai ainsi de chevaux et de traîneau jusqu’à Irbite ; j’avais couru, sans m’arrêter, trois jours et trois nuits. Les dernières vingt-quatre heures je repris toute ma sécurité ; la route était tellement encombrée de traîneaux, de kibitkas (espèce de cabriolet sur patins l’hiver, sur roues l’été), de télégas, d’hommes à cheval, de piétons qui chantaient à tue-tête, criaient, se saluaient, que je ne courais plus aucun danger d’être reconnu ni arrêté. Je fis comme eux : je chantai, je criai, je saluai des inconnus. J’étais à mille kilomètres d’Ékatérininski-Zavod.

« Le soir du troisième jour, nous entrâmes dans la ville d’Irbite.