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« L’escorte nombreuse qui nous conduisait, qui nous chassait devant elle comme un troupeau de moutons, était tout entière sous le joug de la terreur : la dénonciation d’un camarade pouvait amener dans nos rangs de forçats le malheureux qui nous aurait témoigné quelque pitié, et chaque soldat redoublait de dureté pour se bien faire voir de ses chefs.

« Nous arrivâmes enfin à Ekatérininski-Zovod ; on nous mena devant le smotritile (surveillant), qui nous regarda longtemps, nous interrogea sur ce que nous savions faire, fit inscrire dans les premiers numéros ceux qui savaient lire, écrire, compter. Il me questionna longuement, parut content de ma science, et me désigna pour travailler aux travaux de routes et de constructions. On nous ôta nos fers, et l’on indiqua à chacun le cachot de son numéro ; j’eus le numéro 1 ; on dit que j’étais le mieux partagé. C’était sale, petit, sombre, mais logeable ; il y avait de l’air suffisamment pour respirer ; du jour assez pour retrouver ses effets ; un lit passablement organisé pour y dormir ; un escabeau assez solide pour vous porter, et un baquet pour recevoir les eaux sales.

« Mes premiers jours de travail extérieur furent terribles ; on nous occupait exprès aux travaux les plus rudes ; on nous forçait à porter ou à tirer des poids énormes ; les coups de fouet n’étaient pas ménagés, et si une plainte, un gémissement nous échappait, il fallait subir le fouet en règle, et