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reux changement ; le gardien me l’expliqua le lendemain, et j’en remerciai bien sincèrement Dieu qui, par l’entremise du général Négrinski, avait touché en ma faveur ces cœurs fermés à tout sentiment de pitié.

« Je ne vous raconterai pas les détails de mes derniers jours de prison, ni de mon terrible voyage, un peu adouci par la compassion des gens du peuple qui nous voyaient passer et qui obtenaient la permission de nous donner des secours ; les uns nous offraient du pain, des gâteaux ; d’autres, du linge, des chaussures, des vêtements ; tous nous témoignaient de la compassion ; nous avions les fers aux pieds et aux mains ; nous étions enchaînés deux à deux.

« Je me trouvai avoir pour compagnon de chaîne un jeune homme de dix-huit ans qui avait chanté des hymnes à la patrie, qui s’était montré fervent catholique, qui avait fait des vœux pour la délivrance de la malheureuse Pologne. Il était fils unique, adoré par ses parents, et il pleurait leur malheur bien plus que le sien. Je le consolais et l’encourageais de mon mieux ; je sais que peu de temps après notre arrivée à Simbirsk il chercha à s’échapper et fut repris après une courte lutte dans laquelle il se défendit avec le courage du désespoir contre le lieutenant qui commandait le détachement envoyé à sa poursuite ; il fut ramené et knouté à mort. Il est maintenant près du bon Dieu, où il prie pour ses bourreaux.