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mon malheur. Je ne sais combien de temps je restai dans cette affreuse position ; je sentais mes forces s’épuiser, et, quand le gardien vint m’apporter une cruche d’eau et un morceau de pain, il me trouva étendu par terre sans connaissance ; il alla prévenir son chef, qui alla, de son côté, chercher des ordres supérieurs.

« — Qu’il crève ! qu’on le laisse où il est et comme il est », répondit l’Excellence de la veille.

« Il paraît néanmoins que, sur les représentations d’un aide de camp de l’empereur, le général Négrinski, le même qui vient d’acheter Gromiline, qui paraît avoir des sentiments de justice et d’humanité, et qui se trouvait à Varsovie, envoyé par son maître, l’Excellence donna des ordres pour qu’on me changeât de cellule et pour qu’on m’ôtât mes fers.

« Quand je revins à moi, je me crus en paradis ; mes pieds et mes mains étaient libres, je me trouvais dans un cachot deux fois plus grand que le premier ; une fenêtre grillée laissait passer l’air et le jour ; de la paille fraîche sur des planches faisait un lit passable ; on me rendit mon manteau de fourrure pour me préserver du froid pendant mon sommeil. Mes vêtements, trempés par la boue du cachot précédent, avaient été remplacés par les habits de forçat que je ne devais plus quitter ; une chemise de grosse toile, une touloupe[1], de la chaus-

  1. Pelisse en peau de mouton que portent les paysans, le poil est en dedans ; l’été on le remplace par le cafetasse en drap.