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— La défaite des Russes à Ostrolenka. Dans l’intimité du repas j’appris que plusieurs de mes amis organisaient un mouvement patriotique pour délivrer la Pologne du joug moscovite. Je blâmai leurs projets, que je trouvai mal conçus, trop précipités, et qui ne pouvaient avoir que de fâcheux résultats. Je refusai de prendre part à leur complot. Mes amis m’avaient quitté mécontents ; fatigué de cette journée, je m’étais couché de bonne heure et je dormais profondément, lorsqu’une violente secousse m’éveilla. Je n’eus le temps ni de parler, ni d’appeler, ni de faire un mouvement : en un clin d’œil je fus bâillonné et solidement garrotté. Une foule de gens de police et de soldats remplissaient ma chambre ; une fenêtre ouverte indiquait par où ils étaient entrés. On se mit à visiter tous mes meubles ; on arracha même les étoffes du canapé et des fauteuils pour fouiller dans le crin qui les garnissait ; on me jeta à bas de mon lit pour en déchirer les matelas ; on ne trouva rien que quelques pièces de poésies que j’avais faites en l’honneur de ma patrie morcelée, opprimée, écrasée. Ces feuilles suffirent pour constater ma culpabilité. Je fus enveloppé dans un manteau de fourrure, le même qui m’a causé une si vive émotion à Gytomire.

— Ah ! je comprends, dit Natasha ; mais comment s’est-il trouvé à Gytomire ?

— Quand le temps était devenu chaud, pendant mon long voyage de forçat, ce manteau gênait mes