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L’étranger

Non, non ; ne dites pas que je suis ici. Ne dites rien. Je suis perdu si vous me dénoncez.

Jacques

Papa ne vous dénoncera pas. N’ayez pas peur. Attendez-nous. Viens vite, Paul, apportons à manger à ce pauvre homme. »

Avant que l’étranger eût eu le temps de renouveler sa prière, les deux frères étaient disparus en courant. Le malheureux se laissa tomber ; il fit un geste de désespoir.

« Perdu ! perdu ! dit-il. On va venir, et je n’ai plus de forces pour me relever. Mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi ! Après m’avoir sauvé de tant de dangers, ne me laissez pas retomber dans les mains de mes cruels bourreaux. Mon Dieu, ma bonne sainte Vierge, protégez-moi ! »

Il serra, contre son cœur une petite croix de bois, la porta à ses lèvres, pria et attendit.

Quelques minutes à peine s’étaient écoulées, qu’il entendit marcher, parler, et qu’il vit les deux enfants, accompagnés d’un homme qui avançait à grands pas ; les enfants couraient.

Dérigny, car c’était lui, approcha, et, avant de parler, il versa un verre de vin, qu’il fit avaler à l’infortuné, mourant de besoin ; ensuite il lui fit boire une tasse de bouillon encore chaud, dans lequel il avait fait tremper une tranche de pain. L’inconnu mangeait avec avidité ; ses regards exprimaient la reconnaissance et la joie.