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préoccupés avant tout d’accroître la production. Mais à peine triomphent-ils que de nombreux penseurs vont entreprendre la critique de la société capitaliste, en même temps que les travailleurs vont organiser la lutte contre leurs employeurs.

Que la formation de la grande industrie, du moins, au début, ait aggravé les souffrances de la classe ouvrière, cela ne fait pas de doute. Toutefois, ne l’oublions pas, avant même l’ère de la grande industrie, et dans des pays essentiellement agricoles, comme la Bretagne, on se trouve déjà en présence d’un prolétariat ouvrier plus nombreux qu’on ne le croit d’ordinaire. Le régime de la petite industrie n’empêchait pas la misère. Les corporations, en admettant qu’elles aient exercé une action sociale bienfaisante, ne touchaient qu’un nombre minime d’artisans, car bien des villes ne possédaient pas de jurandes et c’est bien rarement que, même dans les villes qui en possédaient, la majorité des métiers avait adopté l’organisation corporative[1].

Si l’on envisage maintenant l’Angleterre de la première moitié du XIXe siècle, on reconnaîtra, avec M. Élie Halévy, que, vers 1839, les ouvriers de la grande industrie étaient relativement favorisés. Les parias, ce sont les bonnetiers de Leicester, les tisserands en soieries de Spitalfields, les tisserands en laine du Yorkshire, les tisserands en cotonnades du Lancashire, tous ouvriers en chambre, dont les salaires sont huit fois plus faibles que ceux des ouvriers d’usines, et qui se maintiennent, précisément à cause des bas salaires qu’ils supportent. Ils sont si l’on veut, les victimes de la concentration industrielle et du machinisme, mais d’une façon indirecte. Ce sont ces malheureux survivants d’un régime industriel périmé qui constituent les principaux effectifs

  1. Voy. H. Sée, Les métiers bretons en Bretagne au XVIIIe siècle (Revue d’Histoire économique, 1925, fasc. 4).