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Géta. — Alors ?

Stalagmus. — Je vais tuer le magistrat, créature, soutien et complice des maîtres.

Géta. — J’applaudis à ce projet pour sa justice et pour son utilité.

Stalagmus. — Les gestes les plus justes sont peut-être les plus inutiles.

Géta. — Je ne comprends pas.

Stalagmus. — Un autre remplacera celui que j’aurai tué.

Géta. — Quand je t’écoute, je me demande pourquoi tu agis.

Stalagmus. — J’ai commencé d’agir. Je dois continuer. Mais quiconque entre dans l’action juste est promis à la défaite et à la mort.

Géta. — Oui, ils se jetteront sur toi, lâches et nombreux, meute de chiens contre le sanglier acculé. Bientôt des chaînes lourdes immobiliseront tes mains. Alors tu ne seras plus libre.

Stalagmus. — La vraie liberté n’est pas dans les mains, mais dans l’esprit.

Géta. — Pourquoi donc frappes-tu de tes mains ?

Stalagmus. — Mon âme s’exprime par les moyens qu’elle a. Privée d’instruments, nul n’entendra plus son langage. En quoi ma pensée en sera-t-elle changée ?

Géta. — Tu m’étonnes.

Stalagmus. — J’ai commencé une phrase que je dois continuer. Mon premier geste est, sur une pente, un commencement de course qui entraîne la descente jusqu’au bas ou jusqu’à l’obstacle. Mes mains ne se renieront pas en cessant, avant qu’on les réduise à l’impuissance, d’exécuter les condamnations prononcées par mon esprit. Mais peut-être je regrette d’avoir obéi une première fois à mes mains.

Géta. — Ton geste est d’un jeune homme ; tes paroles sont d’un vieillard. Pour que je n’entende plus tes paroles, je fuis avec, dans mes yeux, l’encouragement de ton geste. (Il s’incline, prend la main de Stalagmus, la porte à ses lèvres.) Adieu, marche à ton noble destin. (Il fait un pas vers une autre porte.) Moi, je vais à mon sort passionné.