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COMPLAINTE DOU CONTE DE POITIERS.

Lors puet savoir qu’il a boen hoste,
Et lors resoit-il son mérite,
Que Dieux et il sunt quite et quite.
Ainsi fut li cuens de Poitiers[1],
Qui toz jors fu boens et entiers :
Chevaucha cest siècle terrestre
Et mena paradix en destre.

Véu aveiz com longuement
At tenu bel et noblement
Li Cuens la contei de Tholeuze,
Que chascuns resembleir goleuze[2]
Par son sanz et par sa largesse,
Par sa vigueur, par sa proesse,
C’onques n’i ot contens ne guerre,
Ainz a tenu en pais sa terre :
Por ce qu’il me fist tant de biens
Vo voel retraire .i. pou des siens.

Vos saveiz et deveiz savoir
Li commencemens de savoir :
Si est c’om doit avoir paour
De correcier son Saveour,
Et li de tout son cuer ameir
Qu’en s’amitié n’a point d’ameir ;
En s’amitié n’a point d’ameir,
En s’amitié n’a fin ne fons :

  1. Je ne puis m’empêcher de faire remarquer à quel point tout ce qui précède est une habile entrée en matière, et combien l’éloge du comte de Poitiers est logiquement déduit de l’exorde. On voit qu’il y avait déjà à cette époque un grand art de composition.
  2. Voir ci-dessus, page 20, la note sur golouze.