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NOTES

Mais ores m’entendés comment il li avint :
Tant avoit savagine, el bois foilli…,
Culevres et serpens, et grans aiols furnis.
Par dejouste l’enfant .i. grant aiaul coisi,
Une beste savage dont vous avés oï
Que tout partout redoute li grant et li petit.
Et por icèle beste que li sains hon coisi,
L’apela Aioul, ce trovons en escrit.

On voit que le bon hermite avait choisi là à notre héros un assez singulier parrain. Avec le temps Aiol croît en âge, et le duc regrette pour lui sa douce France et ses châteaux. « Plût à Dieu, lui dit-il, que vous fussiez en France, à Paris ou à Chartres, et que vous eussiez mon cheval et mes armes ! Dieu vous aiderait. — Sire, répond Aiol, donnez-moi congé : je prendrai vos armes, et je m’en irai en France conquérir votre héritage. » Alors Elye, se retournant vers sa femme qui pleure : « Belle sœur, lui dit-il, qu’Aiol parte pour Orléans, la cité garnie. S’il arrive qu’il y ait là une bataille et qu’il s’y distingue, le roi Louis et la reine l’aimeront. » Avisse, par tendresse pour son fils, refuse. Elle dit qu’il est trop jeune, qu’il ne sait pas encore querre .i. ostel ni parler à un gentilhomme ; enfin qu’elle n’a rien à lui donner. — « Madame, reprend Aiol, que cela ne vous inquiète pas : si vous ne possédez aucun avoir, Dieu en a assez. — Bien, beau fils, dit Elye, vous partirez. » Elye donne alors à notre héros de sages conseils : il lui recommande de ne pas jouer aux échecs ni aux tables, de ne pas aimer la femme d’autrui, et, si elle l’aime, de ne pas l’écouter ; de ne pas s’enivrer, de ne pas se moquer des pauvres gens, etc. Le duc ajoute : « Et maintenant allez en France ; emmenez Marchegai, mon bon destrier : il n’y en a pas de meilleur dans tout le royaume. Il est maigre et n’a plus de fers aux quatre pieds ; mais pour le faire courir une lieue il n’y a pas besoin de le toucher trois fois des éperons. Ma lance est torte, mon écu vieux, mon haubert peu luisant, et je ne puis vous donner que quatre sols ; mais n’en soyez pas moins large ni généreux avec vos hôtes : quant l’argent vous manquera, souvenez-