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LE MARIAGE RUTEBEUF.

L’en cuide que je soie[1] prestres,
Quar je faz plus sainier de testes
(Ce n’est pas guile)
Que se je chantaisse Évangile.
L’en se saine parmi la vile
De mes merveilles[2].
On les doit bien conter aus veilles :
Il n’y a nules lor pareilles[3],
Ce n’est pas doute.
Il pert bien que je n’i vi goute ;
Diex n’a nul martir en sa route[4]
Qui tant ait fet.
S’il ont esté por Dieu deffet,
Rosti, lapidé ou detret,


    Ma fame va destroser
    Ma male sans demorer ;
    Mon garçon va abuvrer
    Mon cheval et conreer ;
    Ma pucèle va tuer
    Deux chapons por deporter
    A la jause aillie** ;
    Ma fille m’aporte un pigne
    En sa main par cortoisie.
    Lors sui de mon ostel sire
    A moult grant joie sans ire
    Plus que nus ne porroit dire.

    ** À la sauce à l’ail.

  1. Ms. 7633. Var. Fusse ; et au vers suivant : Mais je fas.
  2. Ne pourrait-on pas inférer de ce passage qu’à la date de cette pièce (1260) Rutebeuf avait déjà composé son Miracle de Théophile, et peut-être plusieurs autres pièces du même genre qui ne nous sont point parvenues ? Je ne sais en effet, dans le cas contraire, si de simples fabliaux et quelques pièces satiriques auraient pu lui avoir sitôt procuré la réputation dont il parle, et surtout s’il eût pu se vanter, grâce à quelques vers profanes, de faire signer plus de têtes que s’il chantait Évangile. Remarquons en outre que ce passage prouve qu’avant 1260 Rutebeuf avait déjà composé un certain nombre de merveilles, comme il dit. Il nous resterait à savoir lesquelles.
  3. Ms. 7633. Var. Qu’il n’i aura jà lor pareilles.
  4. Route, rota, compagnie, milice céleste.