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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Mais ge sai aussi bien conter
Et en roumanz et en latin[1],
Aussi au soir com au matin
Devant contes et devant dus,
Et si resai bien faire plus
Quant ge sui à cort et à feste,
Gar ge sai de chançon de geste.

Gautières sui, qu’el mont n’a tel :
Ge sai de Guillaume au tinel
Si com il arriva as nés ;
Et de Renoart au cort nés
Sai-ge bien chanter com ge vueil[2] ;
Et si sai d’Aie de Nantueil
Si com ele fu en prison ;
Si sai de Garins d’Avignon
Qui mult estore bon romans :
Si sai de Guion d’Aleschans
Et de Vivien de Bourgogne :
Si sai de Bernart de Saisoigne
Et de Guiteclin de Brebant :
Si sai d’Ogier de Montaubant
Si com il conquist Ardennois ;
Si sai de Renaut le Danois ;
Mais de chanter n’ai-ge or cure :
Ge sai des romanz d’aventure[3]

  1. Voici la note de Legrand d’Aussy à propos de ce passage : « Quoique après tout il pût très-bien se faire qu’un ménétrier sût le latin, et fût par conséquent en état de composer des contes dans cette langue, je suis convaincu pourtant qu’on s’en gardait bien. J’en ai vu très-peu, au moins dans toutes les recherches que j’ai faites, et l’on conviendra sans peine qu’il n’y avait pas assez de gens capables d’entendre le latin pour que les contes écrits en cette langue fussent bien communs. Ainsi ce dont se vante le querelleur ne serait ici qu’une forfanterie pure, ou qu’une espèce de cartel qu’il propose et se fait fort de soutenir quand on voudra. »
  2. On peut voir, pour Guillaume et Renoart, les détails que j’ai donnés sur eux page 378 de mon premier volume de Mystères inédits ; mais je dois faire remarquer ici une chose dont Legrand-d’Aussy ne s’est point aperçu, c’est que le jongleur qui se prétend si instruit commet à chaque nom qu’il cite une méprise grossière, dans le but probablement de faire rire son auditoire. Ainsi il devrait dire : Guillaume au cort nés et Renoart au tinel, Aie d’Avignon et Garins de Nanteuil, Guions de Bourgogne et Vivien d’Aleschans, Bernart de Brabant et Guiteclin de Sassoigne, Ogier le Danoit et Renaut de Montauban, Perceval le Galois et Percenoble de Blois, Girard de Vienne et Tibaut d’Aspremont, tandis qu’il dit précisément le contraire. On connaît assez, les noms de tous ces héros de nos vieilles épopées pour me dispenser de donner des détails sur ceux qui les portent.
  3. On voit que dès cette époque on distinguait les romans en romans de