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DE CHALLOT ET DU BARBIER.

Mès vous morrez povres et nuz,
Car vous devenez de l’empire[1] ;
Je sui por maqueriaus tenuz :
L’en vous retient à va-li-dire[2]. »

— « Charlot, Charlot, biaus douz amis,
Tu le fez aus enfanz le roi ;
Se tu i es, qui t’i a mis[3] ?
Tu i es autant comme à moi.
De sambler fols t’és entremis,
Mès, par les iex dont je te voi,
Tels t’a argent en paume mis
Qui est assez plus fols de toi. »

— « Barbier, or vienent les groiseles ;

  1. Ms. 7633. Var. De ce ne poés douteir mie.
  2. Va-li-dire : la copie de l’Arsenal met ici en note : « Nom d’un raccrocheur de femmes. » En picard ce mot signifie : mauvais sujet, goujat.
  3. Ces trois vers et les deux derniers de la 5e strophe semblent indiquer que cette pièce était une satire personnelle dirigée contre un certain Charles ou Charlot qui avait suivi saint Louis en Terre-Sainte, et que je conjecture être le même que celui dont il est question dans la pièce intitulée De Charlot le Juif, qui chia en la pel dou lièvre. Ce qui me le fait croire, c’est que ce dernier, dans ce conte, est représenté comme un ménestrel, par conséquent comme un confrère de Rutebeuf, qui avoue lui-même avoir été à une noce où se trouvait Charlot. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce qu’ils eussent été rivaux, et par conséquent ennemis. Du reste, malgré le sobriquet de mépris (le Juif) que donne à Charlot le titre de la pièce, rien n’indique qu’il ait été réellement d’un judaïsme autre que celui que le barbier reproche à son interlocuteur :
            Charlot, tu as toutes les lois :
            Tu es juys et crestien, etc.

    Ce qui vient encore confirmer mon hypothèse, c’est que Rutebeuf fait dire au barbier, en parlant de Charlot, qu’il s’attache aux enfans du roi et qu’il essaye de se faire passer pour leur fou  : or, qui était plus propre à remplir cette dernière fonction qu’un jongleur ?