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LA COMPLAINTE D’OUTRE-MER.

Nus Tancrés[1], ne nus Bauduins ;
Ainçois lèront aus Béduins
Maintenir la terre absolue,
Qui par défaut nous est tolue ;
Et Diex l’a jà d’une part arse.
D’autre part vienent cil de Tharse :
Et Coramin et Chenillier[2]
Revendront por tout escillier !
Jà ne sera (pii la desfande.
Se mesires Giefroiz me demande
Secors, si quière qui li face,
Que je n’i voi nule autre trace ;
Quar com plus en sermoneroie
Et plus la fère empireroie !

  1. Ms. 7633. Var. Tangereiz. — C’est le chef que nous nommons Tancrède, qui, parti en 1096 pour la croisade, d’après les exhortations d’Urbain IV, avec Bohémond, son cousin, prince de Tarente, eut l’honneur de planter le premier sur Jérusalem l’étendard des chrétiens. On sait quels effets le Tasse a tirés du beau caractère de ce héros dans son immortel poëme. Quant au Baudouin dont parle ici Rutebeuf, c’est, je crois, celui qui était frère de Godefroi, auquel il succéda en l’an 1100 dans la royauté de Jérusalem*. Je dis je crois, parce qu’il serait possible, bien que ce ne soit pas probable, que le trouvère eût voulu désigner Baudouin de Sébourg, sur lequel il nous reste un fort beau poëme inédit. Baudouin de Sébourg, qui était cousin de Baudouin Ier, lui succéda en 1118, et mourut en 1131 après s’être rendu cher à ses sujets par son courage et ses vertus.

    *Rabelais, dans son livre II, chap. 38, de Pantagruel, où Épistemon raconte qu’il a vu en enfer : « Xercès qui etoit devenu crieur de moutarde, Démosthène vigneron, Fabie enfileur de patenostres, Brute et Cassie agrimenseurs, Trajan pescheur de grenouilles, Antonin lacquais, etc. », fait de Baudouin un marguillier et de Godfroy de bouillon un dominotier. Je serais curieux de savoir ce que le grand extracteur de quintessence aurait fait de Tancrède s’il fût venu à penser à lui : peut-être un preneur de rats, comme du pape Alexandre IV ; un écumeur de marmites, comme du pape Boniface VIII, un vendeur de petits pâtés, comme du pape Jules II.

  2. Voyez note N, fin du volume.