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Assurément on eût fort étonné les négociants de la Cité, si on leur eût révélé que M. John James Ruskin, si exact à son comptoir, si ponctuel à ses échéances, si expert en bon sherry, avait des velléités d’artiste. Mais le fait est qu’une fois rentré chez lui, il devenait un être enthousiaste et chimérique. Il lavait à la hâte une aquarelle, ou bien, prenant quelque œuvre nouvelle de Walter Scott, quelque vieille pièce de Shakspeare, il en faisait d’une voix harmonieuse et passionnée la lecture à sa femme et à son fils. Bien souvent, dans les années précédentes, la nuit l’avait trouvé penché sur des gravures de Prout ou de Turner , ou dépliant, sous la lampe, des cartes de Suisse et d’Italie, rêvant à des fugues alors impossibles, irréalisables, au pays où les montagnes sont si blanches et les flots si bleus.

Mais alors était survenue Mme Ruskin et, par son éloquence persuasive, elle lui avait rendu le souci de ce que les Anglais appellent volontiers le devoir, — qui est de gagner beaucoup d’argent. Mme Ruskin était la cousine germaine de son mari, de quatre ans plus âgée, que lui. La connaissant dès l’enfance, il s’était un jour avisé qu’elle réalisait parfaitement le type de la femme qui lui convenait, le lui avait dit et avait décidé avec elle d’attendre pour se marier que toutes les dettes de