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c’est pourquoi on la représente en suppliante qui intercède en pleurant. Les protestants peuvent être affligés de cette attitude[1] mais elle ne doit pas les aveugler sur la foi simple et profonde avec laquelle ces hommes ont choisi la solitude de la mer, non dans l’espérance d’y fonder de nouvelles dynasties ou de commencer une ère de brillante prospérité, mais pour s’humilier devant le Seigneur et pour le prier que, dans son infinie pitié, il voulût bien hâter le jour où la mer, la mort et l’enfer rendront les morts qu’ils renferment et où ils les feront entrer dans le meilleur royaume « là où les méchants cesseront de nuire et où les découragés trouveront le repos ».


La force et l’élasticité d’esprit de ces hommes ne se laissèrent pas abattre par cette fin prévue de toutes choses : rien n’est plus remarquable que la beauté accomplie de toutes les parties de ce monument, élevé spécialement pour leur Dieu. Les moins beaux ornements sont ceux qu’ils avaient apportés du continent ; les plus parfaits furent ceux qu’ils sculptèrent pour leur église de l’île ; les plus remarquables sont les chapiteaux, déjà cités, et la clôture du sanctuaire couverte d’exquis ornements : placée entre six petites colonnettes, elle sert à fermer, comme un écran, l’espace élevé de deux marches au-dessus de la nef, espace destiné aux chanteurs. Les bas-reliefs représentent des coqs et des lions, élégants et fantastiques au dernier point, mais ne dénotant pas une connaissance approfondie de l’anatomie de ces animaux. Ce n’est qu’en arrivant derrière l’escalier de la chaire qu’on découvre les traces de la hâte apportée à cette construction.

  1. Ils agiraient prudemment en réservant cette affliction pour ceux de leur secte, assez nombreux, qui nient l’efficacité de la prière.