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dans renfoncement de Cadore. A l'est, la chaîne se relevait et, le soir, le soleil transformait la neige de ses sommets — couronnes de l'Adriatique — en puissants foyers de lumière que l'on pouvait admirer et compter jusqu'à ce que l'œil, fatigué de les suivre, vînt se reposer sur les campaniles enflammés de Murano et sur la grande cité qui, à mesure que la rapide et silencieuse gondole s'en rapprochait, apparaissait, magnifique, au milieu des vagues. Et lorsque, les murailles atteintes, le voyageur pénétrait — sans passer par aucune poterne ou entrée fortifiée — dans la plus lointaine de ces rues non foulées par les pieds humains, qui semblent une ouverture taillée entre deux rochers de corail dans la mer des Indes ; lorsqu'il apercevait les longues files de palais ornés de colonnes, ayant chacun, attachée au pilier devant le portail, sa barque noire dont l'image se reflète dans ce vert parquet que chaque souffle de brise orne de nouvelles et riches mosaïques changeantes ; — lorsqu'à l'extrémité de cette éblouissante perspective, le Rialto jetait lentement sa courbe colossale, cette courbe étrange, si délicate, faite de diamant, et solide comme une caverne de montagne ; — lorsque, avant que cette silhouette se fût complètement dessinée, le cri du gondolier : « Ah ! Stali ! » frappait pour la première fois l'oreille de ce voyageur ; que la proue de sa gondole passait entre les majestueuses corniches qui se rejoignent à moitié sur l'étroit canal où la suivait le remous de l'eau frappant bruyamment le marbre sur chaque bord ; — et lorsqu'enfin, sa barque s'élançait sur la large nappe argentée à travers laquelle la façade du Palais Ducal, colorée de veines sanguines, contemple le dôme blanc de Notre-Dame della Salute, — il n'est pas surprenant que son imagination fût si profondément saisie par le charme illusoire de cet admirable et étrange décor qu'il en oubliât