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uns des autres. J’ai compté 150 figures importantes dans la moitié de l’œuvre, de sorte qu’en y joignant celles d’un ordre plus modeste, le total ne peut pas être inférieur à cinq cents.

Je regarde ce tableau comme le chef-d’œuvre de Tintoret, bien qu’il soit si vaste que personne ne prend la peine de le déchiffrer et qu’on lui préfère des tableaux moins merveilleux. Je n’ai pu moi-même en étudier à fond que quelques parties, toutes de la plus belle manière de l’artiste, mais un observateur pressé sera bien aise de savoir que cette composition est divisée en zones concentriques, représentant les étages d’une coupole autour du Christ et de la Madone qui en sont le point central le plus élevé. Ces deux figures sont extrêmement nobles et belles. Entre chaque zone, des espaces d'un ciel blanc où flottent des Esprits. La peinture est, dans son ensemble, remarquablement conservée ; c'est l’œuvre la plus précieuse que possède Venise. Elle ne la possédera pas longtemps, car les Académies vénitiennes, trouvant qu’elle ne ressemble en rien à leurs productions, ont manifesté le désir de la retoucher suivant leurs idées personnelles de la perfection.

Le siège de Zara, le premier tableau à droite, en entrant par la Salle da Scrutin. Tableau de bataille où les figures sont taillées comme des flèches. Beaucoup de mérite et d’invention. Le Tintoret l’a certainement esquissé, mais s’il l’a peint lui-même entièrement, il l’a fait dans l’esprit qu’un peintre d’enseigne apporte à satisfaire les désirs d’un aubergiste ambitieux. Il semble qu’on lui a ordonné de reproduire d’un coup tous les événements du combat et qu’il s'est dit que plus il représenterait d’hommes, de flèches et de vaisseaux, plus il satisferait ceux qui l’employaient. Le tableau, très grand, a quelque trente pieds sur quinze.

D’autres tableaux seront indiqués par le gardien, mais ils ne sont intéressants qu’au point de vue historique et non artistique. Le plafond de Paul Veronese a été repeint et le reste des peintures murales est fait par des artistes de seconde valeur. Une fois pour toutes, avertissons le voyageur de ne pas prendre les œuvres de Domenico Tintoretto, un fort misérable peintre, pour celles de son illustre père, Jacopo.

Le doge Grimani s’agenouillant devant la Foi, par le Titien, dans la salle des Quatre Portes. A observer avec soin comme un de plus frappants exemples du manque de sentiment du Titien