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mêlée de larmes, la révocation de la terrible sentence.

Je dis « suivant la tradition courante, » parce qu’on a fait naître des doutes sur cette histoire en y ajoutant un complément : beaucoup d’historiens vénitiens affirment que le surnom de « chien » fut donné, en cette occasion, à Dandolo par les cardinaux comme une insulte, et que les Vénitiens, en souvenir de la grâce que leur avait value cette humiliation, en firent un titre d’honneur pour lui et pour sa race. Comme, d’autre part, il a été prouvé que ce surnom fut porté par les ancêtres de Francesco Dandolo longtemps auparavant, la fausseté de cette fin de légende rend douteux les autres détails. Ce qui n’est pas douteux, c’est le fait d’une pénible humiliation subie et prouvée par l’existence même d’une tradition qui n’a pu être entièrement inventée. En conséquence, le lecteur pourra se rappeler, en même temps que le traitement de Barberousse à la porte de Saint-Marc qu’au Vatican, cent cinquante ans après, un noble Vénitien, un futur Doge, fut soumis à une dégradation qui fît dire au peuple qu’il s’était traîné sur ses mains et sur ses genoux, jusqu’aux pieds du Saint-Père, et qu’il avait été traité « comme un chien » par les cardinaux présents.


Il y a deux importantes conclusions à tirer de ces récits : la première est la démonstration de l’insolence du pouvoir pontifical au XIIIe siècle ; la seconde est la preuve qu’il y avait une grande profondeur de piété et d’humilité dans le cœur d’un homme capable de se soumettre à cette insolence pour le bien de son pays. Son immense respect pour l’autorité du Pape lui rendit évidemment cette tâche moins pénible, respect qui — quoique nous puissions penser aujourd’hui de ceux qui le réclamaient — était éprouvé, en ce temps-là, par tous les hommes bons et fidèles.