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Pour rendre pleine justice à notre adversaire, nous allons indiquer la nature abstraite de l’école en ne signalant comme exemples à l’appui, que ses meilleures œuvres. Les constructions qui sont généralement classées sous la rubrique : première Renaissance, ne sont, dans beaucoup de cas, que la corruption extravagante du Gothique affaibli et le principe classique n’en saurait être rendu responsable. J’ai déjà dit, dans « Les sept lampes de l’Architecture » que, sans la faiblesse et l’énervement qui corrompirent les formes gothiques, les traditions romaines n’auraient pu l’emporter sur elles.

Ces conditions fausses et affaiblissantes furent rapidement ranimées par l’influence classique ; il serait donc injuste de mettre à la charge de cette influence l’abaissement des anciennes Écoles qui avaient perdu la force de leur système avant d’avoir pu subir la contagion.


La date à laquelle les formes corrompues du Gothique commencèrent à l’emporter sur l’ancienne simplicité des modèles vénitiens, peut être déterminée sur les marches du chœur, dans l’église Saint-Jean-et-Paul ; à gauche, en entrant, est la tombe du doge Marco Gornaro, mort en 1367. Elle est d’un style gothique très riche et très développé, avec crosses et pinacles, mais sans atteindre encore une extravagante exagération. En face est le monument du doge Andrea Morosini, mort en 1882. Le Gothique en est voluptueux et surchargé, les crosses sont audacieuses et fleuries, et l’énorme pinacle représente une statue de saint Michel. Les antiquaires qui, ayant ce tombeau devant les yeux, ont pu attribuer à l’architecture sévère du Palais Ducal une date postérieure, sont sans excuse, car toutes les erreurs de la Renaissance se donnent carrière ici, quoique sans réussir encore à détruire complètement la grâce des formes