Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sion de tableaux précieux, ne savent pas reconnaître une bonne peinture d’une mauvaise et n’ont aucune idée de ce qui fait la valeur d’un tableau. La réputation de certaines œuvres est faite en partie par le hasard, en partie par la juste appréciation des artistes, en partie par le goût — généralement détestable — du public. Aucun tableau, dans les temps modernes, n’est devenu populaire, dans le vrai sens du mot, sans que, à côté de ses bonnes qualités, il n’en renfermât de très mauvaises : une fois sa réputation faite, qu’importe l’état auquel il peut être réduit ? Peu de gens sont assez complètement dénués d’imagination pour ne pouvoir le parer des beautés qu’ils savent lui être attribuées.


Cela étant, les tableaux les plus estimés sont, pour la plupart, ceux des peintres en renom qui sont proprement finis et d’une taille assez moyenne pour être placés dans des galeries ou dans des salons où ils sont montrés avec ostentation et facilement vus par la foule. Pour conserver la réputation et la valeur de ces peintures, il suffit de les tenir toujours brillantes, soit en les nettoyant — ce qui est le commencement de la destruction — soit par les « restaurations », c’est-à-dire en repeignant par dessus — ce qui est la destruction totale ! — Presque tous les tableaux des Galeries, dans l’Europe moderne, ont été plus ou moins détériorés par l’une ou l’autre de ces restaurations en proportion exacte de la valeur qu’on leur attribue et, comme les œuvres les plus petites et les plus achevées sont, en général, les moins bonnes, il en résulte que le contenu de nos plus célèbres galeries n’a plus, en réalité, qu’une faible valeur.


D’autre part les œuvres les plus précieuses des grands peintres sont, d’habitude, celles qui ont été peintes rapi-