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LA MAIN DE FER

ces choses pour en faire faire bonne chère à leurs familles.

Tous les printemps, ces sauvages font ce qu’ils appellent un désert, connu sous le nom de Champ de l’Esprit, où tous les hommes piochent au son du tambour, et, l’automne, le blé-d’Inde de ce champ se recueille avec cérémonie, et est gardé dans des mannes jusqu’à la lune de juin de l’année suivante, quand le village s’assemble et convie même leurs voisins à une fête, pour manger ce blé. Ils ne partent pas du champ qu’ils n’en soient venus à bout, faisant pendant ce temps de grandes réjouissances.

Le chevalier retourna au palais de Taensas. Le chef, ou le roi si l’on veut, le visage riant, explima au lieutenant De La Salle la joie qu’il éprouvait de la venue des Français. Comme il parlait, Tonty s’aperçut qu’une des femmes du chef avait un collier de perles au col. Il lui offrit en échange dix brasses de rasade bleue. Elle trouvait son ornement plus joli et préférait le conserver, mais, le chef lui ayant dit de le donner, elle céda.

Tonty revint auprès de La Salle et fit rapport de sa mission, ajoutant que le chef viendrait le lendemain lui rendre visite. Ce barbare ne se serait pas déplacé s’il avait eu affaire à des sauvages, mais l’espérance d’avoir des présents l’amena devant M. de la Salle. Celui-ci le reçut bien et en retour des quelques cadeaux qu’il fit, il eut des vivres, et quelques-unes de leurs robes blanches. L’on se sépara, content de part et d’autre.

Trois jours après, les Français aperçurent une pirogue en avant d’eux. Tonty lui donna la chasse. Il gagna dessus et l’eut bientôt rejointe. Comme il allait l’aborder, plus de cent sauvages parurent sur le rivage, l’arc bandé pour défendre leurs gens.

De la Salle cria à Tonty de revenir et les Français campèrent sur l’autre rive, vis-à-vis. De la Salle ayant témoigné le souhait de les aborder en paix, Tonty s’offrit pour leur porter le calumet d’amis. Il s’embarque et traverse le fleuve. Les Sauvages joignent les mains pour marquer leur désir d’être amis, Tonty qui n’avait qu’une main dit à ses gens de les imiter. Prenant avec lui les principaux de la tribu, il les conduisit à De la Salle, lequel gagna immédiatement leur sympathie par des présents habilement distribués. Alors, le commandant de l’expédition avec une partie de son monde passa au village des Sauvages, à trois lieues dans les terres. Le grand chef était le frère de celui des Natchez. Il guida les blancs au pays de son parent, à six lieues de là, où ils furent bien reçus.

Les Natchez comptaient plus de trois mille combattants. Les hommes travaillent la terre et font la chasse et la pêche aussi bien que les Taensas, dont ils ont les mêmes mœurs. Des deux individus et des sauvages signalés par l’armurier Prudhomme, pas le moindre indice. Les avait-on distancés et laissés en arrière ? Mais durant les haltes du trajet, ils avaient pu regagner le terrain perdu dans la course plus rapide de M. de la Salle. Existaient-ils, réellement ?… La narration de Prudhomme n’était-elle pas due à une hallucination, au délire du pauvre homme, causé par les souffrances de la faim, de la soif et de la fatigue, les dix jours qu’il fut égaré dans les bois ? Non, car certains points du récit de l’armurier concordaient avec des faits antérieurs que n’avaient pu s’expliquer ni La Salle, ni Tonty.

Le silence des deux bandits n’augurait rien de bon et porta De la Salle à une plus rigide vigilance. C’était à ce temps-là que le danger le menaçait le plus, et son extrême prudence seule le sauva, car Jolicœur et son compagnon n’avaient pas perdu de vue leur vengeance et guettaient toujours avidement l’occasion de la satisfaire.

Le Samedi-Saint, ils atteignirent l’embouchure d’une grande rivière qui coule de l’Ouest. Ils passèrent outre, et peu après trouvèrent un grand canal allant vers la mer, du côté de la droite. À trente lieues de là, ils virent des Sauvages occupés à la pêche.

De la Salle envoya à la découverte.

Ces pêcheurs étaient des Quinipisas, qui tirèrent des flèches sur les éclaireurs. Ceux-ci se retirèrent conformément à leur mot d’ordre. D’autres envoyés ne furent pas mieux reçus. De la Salle ne voulait combattre aucune nation et continua sa route.

En passant devant le village des Quinipisas, des huées le saluèrent, parmi lesquelles les Français crurent démêler : « Mort à La Salle ! Mort à Tonty ! »

Ces voix, à n’en pas douter, devaient appartenir aux bandits dont Prudhomme avait entendu les sinistres projets.

À courte distance des Quinipisas est le village des Tangibao. De la Salle ne s’y arrêta qu’une heure. La désolation régnait en ce lieu : il n’y avait que quelques jours