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LA MAIN DE FER

Enfin, De la Salle, parut au fort des Miamis le 3 novembre 1681, et aussitôt l’expédition s’ébranla. Traversant le sud du lac des Illinois, ils se rendirent à la rivière Chicago, où il y a un portage qui mène à celle des Illinois.

L’expédition se composait de vingt-trois Français, dix-huit guerriers Mahingans et Abénakis, dix femmes sauvages et trois enfants.

Les cours d’eau à ce temps de l’année étaient recouverts d’un épais cristal. Les voyageurs se fabriquèrent des traîneaux et tirèrent dessus leurs bagages jusqu’à trente lieues au-dessus du village des Illinois, où la navigation reprenait ses droits.

De la Salle poussait de l’avant rapidement. À la fin de janvier 1682, les Français atteignaient le Mississippi à cent quarante lieues de Chicagou.

À six lieues plus loin, sur la droite en descendant, ils trouvèrent une grande rivière qui coule de l’ouest, (Missouri). La halte pour la nuit eut lieu à l’embouchure de ce cours d’eau, et le lendemain à dix-huit milles sur la gauche, l’on prenait pied à terre au village des Tamaroas, alors abandonné par la tribu hivernant dans les bois.

De la Salle y fit sa marque afin d’indiquer son passage là, et continua jusqu’à la rivière Ouabache, qui est à quatre-vingts lieues de celle des Illinois. Elle vient de l’Est et à plus de quinze cents milles de long. Les Iroquois se servent de cette voie pour porter la guerre chez les naturels du Sud.

Soixante lieues plus bas, De la Salle est forcé de relâcher à cause de la perte de Prudhomme, son armurier, qui s’égara dans les bois bordant le Mississippi. Les services de cet homme lui sont indispensables et il ordonne aussitôt des battues pour le retrouver. Tonty à la tête d’un groupe explore en tous sens la contrée adjacente, pendant une semaine. Des signaux de tous genres sont déployés mais Prudhomme demeure introuvable.

Tonty s’empare de deux sauvages Chicossas dont la bourgade est à trois journées de marche dans les terres riveraines du Mississippi. Ils ont, disent-ils, deux mille combattants, dont la plupart ont la tête plate, ce qui est une beauté parmi eux ; les femmes ayant soin d’aplatir ainsi la tête à leurs enfants, au moyen d’un coussin qu’elles leur mettent sur le front et le sanglent avec une bande, et quand ils sont gras ils ont la face aussi grande qu’une assiette creuse.

De la Salle en remit un en liberté, lui donna des présents pour porter à sa nation, afin que s’ils détenaient l’armurier, ils le renvoyassent.

Autour du terrain occupé par les cabanes des gens de l’expédition, l’on éleva une enceinte de pieux, comme mesure de protection.

Le dixième jour de la disparition de Prudhomme, ils le virent émerger du bois, pâle, hagard, les vêtements en lambeaux, les mains déchirées. Il chancelait comme un homme ivre, et n’avançait que péniblement.

On s’élança à son secours et on l’amena en présence de De la Salle et Tonty.

Lui ayant administré un cordial, (le malheureux qui à l’approche de ses amis venait de perdre connaissance), reprit ses sens. Il était à bout de forces, épuisé ; cependant, il voulut parler. Il articula faiblement et à peine intelligiblement ces mots :

— Maître !… faites lever le camp !… tout de suite !… nous avons à nos trousses une bande de démons iroquois… conduits par deux bandits de la pire espèce… qui ne parlent rien moins que de nous massacrer tous, avec des raffinements de cruauté !… Ils ont… prétendent-ils une vengeance personnelle à assouvir… l’un, contre vous… l’autre… contre M. de Tonty !…

Les deux gentilshommes à cette déclaration, se regardèrent stupéfaits. La même pensée traversa leur esprit : toujours les deux êtres auteurs de l’invasion des Iroquois au pays des Illinois ; celui de l’attaque du « Griffon » en chantier, et qui sait, peut-être le destructeur de ce navire ? Sans chercher pour le quart d’heure quels pouvaient être ces personnages, — le temps était précieux. — De la Salle songea au plus pressé. La situation était critique et comme il fallait à tout prix éviter tout engagement, il donna sur le champ l’ordre du départ.

Quelques heures après, les Français s’éloignaient à force d’avirons dans leurs canots. Le lendemain, Prudhomme, fortifié et remis un peu de ses privations dans les bois, racontait à De la Salle et à Tonty ses terribles aventures.