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longtemps le Canada a fermé l’œil sur les désordres de l’intempérance, ou les a regardés sans les voir. Mais aujourd’hui sa conscience est réveillée, et comme un clairon d’alarme, elle l’avertit du grand péril qui le menace.

Si peu que nous aimions notre pays, nous ne pouvons plus rester indifférents à la vue du mal qui nous étreint. Il faut le concours de tous dans une action prompte, énergique et persévérante.

Un peuple en marche vers ses destinées, c’est un navire qui sillonne l’océan, et dans lequel tous les citoyens font partie de équipage. Quand la navigation est heureuse et calme chacun se contente de faire ses heures de quart ; mais quand l’orage gronde, quand le naufrage est imminent tous doivent concourir à la manœuvre. Il faut que chacun fournisse un effort généreux. Le navire qui porte les destinées du Canada est menacé de sombrer dans le « maelstrom » de l’alcoolisme. Hâtons-nous de sortir de ce gouffre par un coup de barre énergique, et tendons nos voiles au bon vent qui nous pousse en ce moment vers des rives plus heureuses.

Messieurs, il y a trente ans, dans cette même salle, j’exprimais sur l’avenir de notre pays, des aspirations très ambitieuses et très optimistes. Je disais que le Canada français était appelé à reproduire en Amérique l’idéal de société que les races latines et surtout la France ont réalisé jadis en Europe. À côté de moi se trouvait alors mon illustre ami, M. Claudio Junnet, qui ne partageait pas mes espérances optimistes, et qui croyait que dans un avenir peu éloigné nous serions noyés dans la grande république qui nous avoisine.

Après trente ans d’expérience, bien loin de diminuer, ma confiance a grandi, parce que nous sommes plus nombreux et plus forts, parce que nous possédons une vitalité qu’il serait à la fois difficile et insensé de détruire, parce que l’Angleterre a plus que jamais besoin de nous ; parce que notre absorption par la république voisine ferait des États-Unis un immense péril pour l’Europe, qui par conséquent est intéressée à l’empêcher, et je puis en dire autant du Japon.

Quelles seront les phases et les péripéties de notre histoire, pendant le siècle qui commence ? Dieu le sait. Il y a cependant deux probabilités et une certitude auxquelles je crois fermement. La première probabilité est que l’union fédérale durera aussi longtemps que le Canada sera colonie britannique. Et la seconde est que le lien colonial restera le même, c’est-à-dire sans entrave pour notre autonomie, jusqu’à ce qu’il soit dénoué sans violence.

Mais, quel que soit le régime auquel nous soyons soumis, il y a une chose que je crois certaine : c’est que la province de Québec,