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couleurs différentes, et je ne sais quelle navette mystérieuse les tisse et les drape comme une belle étoffe à rideaux. Ils forment des zones de largeurs diverses, mais toutes horizontales, et tour à tour bleues, rosées et grises. C’est une riche tenture ; mais à cette saison de l’année où le soleil ne saurait griller le teint le plus délicat, j’aimerais mieux le ciel tout bleu.


19 Novembre.

Une autre chose digne de remarque à bord, c’est que ceux qui dirigent sont à l’avant. La passerelle où se tiennent sans cesse le capitaine et ses officiers, la cabine ronde qui abrite la roue et ceux qui la tiennent occupent des postes non seulement élevés mais avancés, bien que le gouvernail qui imprime la direction, et l’hélice qui est le grand moteur, soient à l’arrière.

Le même ordre doit être observé pour bien conduire les individus et les peuples. Les vrais chefs doivent marcher en tête. C’est d’eux que l’opinion publique, qui est le gouvernail, et le peuple qui est la force motrice, doivent recevoir la direction. S’ils laissaient le peuple faire tout ce qu’il veut, et courir où il lui plaît, sans lui indiquer la route à suivre, nous aurions le spectacle d’un navire sans pilote, obéissant à la fois à l’hélice et aux caprices de la mer et du vent.

Les matelots hissent les voiles et chantent un air mélancolique que je trouve délicieux. Que de charmes dans la vie du marin, mais aussi que de tristesses ! Les chants de la terre sont plus généralement gais ; ceux