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légèrement comme les vieux garçons qui manquent de teinture. Au pied des montagnes, sur les grèves solitaires, se détachent çà et là, comme des bas-reliefs ciselés, quelques pauvres villages de pêcheurs. On les voit groupés comme des bandes de goélands, tantôt au fond d’une petite baie, tantôt à l’embouchure d’une petite rivière, dont le cours dessine une profonde déchirure dans la montagne.

Un vaisseau à voiles passe à l’horizon, et nous télégraphie son nom, sa destination, presque tout un récit de voyage.

Quelle jolie invention que cette télégraphie au moyen de pavillons ! N’est-ce pas imité de la politique, où l’on parle si bien le langage des couleurs et des drapeaux ? Aussi ai-je observé à bord une pratique que les politiciens connaissent mieux encore peut-être que les matelots : c’est de ne déployer le pavillon que lorsqu’il est en haut. Pour le hisser, ils le roulent soigneusement de manière à ce qu’il puisse monter à travers les cordages et les vergues sans s’accrocher nulle part, et de telle sorte qu’on en soupçonne à peine les couleurs. Mais une fois au bout du mât le pavillon se déroule, il exhibe librement toutes ses nuances, et il flotte triomphalement.

Ne font-ils pas ainsi, les partis et les chefs politiques qui cachent leurs principes pour gravir sans obstacles les hauteurs du pouvoir, et qui ne déploient franchement leur drapeau que lorsqu’ils sont vainqueurs ?

Le couchant a changé d’aspect. Les petits nuages se sont allongés, étirés comme des écheveaux de laine de